« Etre et vivre l’éthique dans l’enseignement » (Henri Awit)

 

Mot prononcé par M. le Pr Henri Awit

Vice-recteur aux affaires académiques

à l’ouverture de la table ronde organisée par l’Institut libanais d’éducateurs

en hommage à Aïda Roucos Nehmé

autour du thème

« Etre et vivre l’éthique dans l’enseignement »

le jeudi 3 mai 2012 à 17h

dans la salle polyvalente du Campus des sciences humaines

Bâtiment C – 5° étage

Le Recteur, qui est actuellement en voyage, m’a fait l’honneur de me charger de le représenter à cette manifestation. Je m’acquitte de cette tâche avec d’autant plus de plaisir et d’émotion que je vouais et voue toujours à Aïda Roucos une profonde admiration teintée de beaucoup d’affection.

L’éthique est au cœur du projet éducatif conçu et mis en œuvre par Aïda Roucos. Dans une conférence donnée à l’Institut Bossuet à Paris en juillet 2001, elle a souligné la place centrale qu’occupent dans le cheminement des acteurs concernés, non seulement la réflexion éthique, mais aussi les choix que cette réflexion nous invite à faire : « que l’on soit enseignant, apprenant, jeune débutant ou formateur, disait-elle, aussi informé soit-on dans tous les domaines qui touchent à l’éducation, l’on ne peut faire l’économie de choix éthiques… et ces choix gagnent, comme tous les choix, à être éclairés par l’intelligence des enjeux ».

La lecture de ses écrits et bien plus encore la méditation sur son parcours à l’Institut libanais d’éducateurs, nous permettent de dégager les trois obligations éthiques qui ont constitué ses référents théoriques et sa charte de vie : bien sûr le devoir de  probité et d’intégrité, mais aussi deux obligations malheureusement si peu prises en compte lorsqu’on parle d’éthique, soit le devoir de compétence et le devoir de diligence et de bienveillance.

Le devoir de probité et d’intégrité se manifeste à plusieurs niveaux. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de m’étendre ici sur ce thème bien connu de nous tous. Je me contenterai d’évoquer simplement ce qui paraissait le plus important aux yeux de Aïda. Ce devoir  va évidemment au-delà du simple rejet de tout ce qui est répréhensible en termes d’abus et de harcèlements, et même au-delà de l’obligation de la probité intellectuelle et de l’intégrité morale. Il nous intime en effet de nous conformer au principe du respect absolu de la dignité de chaque étudiant, en nous abstenant par exemple de lui adresser des propos blessants ou dénigrants. Il nous impose de traiter tous les étudiants avec équité, dans la manière de nous comporter avec eux ou de les noter.

Le devoir de compétence s’inscrit dans une perspective de professionnalisation des différents métiers dans le domaine de l’éducation. Aïda avait pris conscience de cette exigence dès les premières années de son expérience d’éducatrice et de responsable, et l’on ne peut ici, comme à propos de tant d’autres thématiques qu’elle a développées, que rendre un vibrant hommage à sa perspicacité visionnaire et à son rôle de pionnière. Ce devoir de compétence se décline certes à travers différentes attitudes. J’en évoquerai ici deux qui lui étaient particulièrement chères. D’abord, celle de refuser d’assumer des fonctions et des responsabilités pour lesquelles on n’a pas été suffisamment préparé. Ensuite, celle d’avoir le souci permanent de la formation continue, et de prendre les mesures appropriées pour la mise à jour des connaissances disciplinaires et l’acquisition de nouvelles compétences.

Le devoir de diligence et de bienveillance trouve son fondement dans le service aux étudiants qui nous sont confiés et nous porte à avoir à cœur leur intérêt et leur développement intégral. Ce devoir se traduit par l’assiduité et l’accomplissement rigoureux des tâches qui nous incombent, comme celle de rendre à temps les corrigés des travaux que nous exigeons de nos étudiants de nous remettre dans les délais. Il nous dicte aussi de recourir à tous les moyens nécessaires pour atteindre l’efficacité, en adoptant les méthodes pédagogiques actives et innovantes aussi bien dans l’enseignement que dans l’évaluation. Mais pour Aïda, il s’agissait dans sa quête inlassable de l’essentiel, d’aller toujours plus loin et plus en profondeur. Dans un article intitulé « La formation demain », elle se plaît à définir la formation comme étant à la fois une communication, un acte d’apprentissage et une démarche. Elle était consciente des exigences d’une telle vision qui implique un changement de paradigme, une stratégie pédagogique plaçant l’apprenant au centre de l’acte de formation, et qui prend en compte ses potentialités et sa capacité à gérer ses ressources. Au lieu de lui imposer de se soumettre à sa pensée, le formateur doit le rencontrer, c’est-à-dire assumer le souci de son devenir tout autant que la volonté de l’inciter à agir lui-même, à engager sa propre démarche.  Et pourquoi ne pas l’affirmer : ce devoir nous incite à inscrire notre projet éducatif dans une vision humaniste, à adopter dans l’exercice de notre métier d’enseignant ou de responsable académique une approche bienveillante, et à insuffler à nos rapports interpersonnels une chaleur et une âme.

 

En s’interrogeant sur la fonction de l’éthique dans la Pédagogie Personnalisée dont elle fut une fervente adepte, et tout en reconnaissant la légitimité des conceptions les plus courantes, définissant l’éthique comme philosophie des valeurs, ou comme théorie de la morale, ou encore comme réflexion sur la normativité, elle était particulièrement séduite par la conception proposée par Michel Foucault. Ce penseur considère en effet que l’éthique pose le problème de « l’organisation de l’existence », compte tenu de la relation à soi et à l’autre. C’est dans cette perspective qu’elle affirmait que « le problème majeur de l’éducation est celui des relations que l’on désigne habituellement par le terme général de « pouvoir ». Pour elle, « quand un être cherche à instruire un autre, une interrogation surgit, d’une manière irréductible, une interrogation qui est sans doute au cœur même de l’éthique, puisqu’elle concerne les conditions de possibilité de l’émergence d’un sujet, c’est-à-dire de la constitution d’une liberté ».

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 L’intégration de ces trois obligations éthiques a revêtu aux yeux d’Aïda Roucos une importance capitale. A la différence de beaucoup d’autres, elle s’est toujours refusée de réduire l’éthique professionnelle dans le domaine éducatif à la première des trois dimensions que je viens d’évoquer, en occultant les deux dernières. Elle a su, au contraire, associer ces trois volets dans un équilibre parfait, une harmonie judicieuse et une interactivité dynamique. Sa vision nous inspire ; son exemple nous stimule. Merci Aïda.

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